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Etrangers et étrangères

Au XXe siècle, l’Etat social n’offre, selon leur autorisation de séjour, qu’une protection limitée aux personnes étrangères qui immigrent en Suisse. Les travailleurs saisonniers, en particulier, sont dans une large mesure exclus des prestations sociales. Après la Seconde Guerre mondiale, des conventions bilatérales de sécurité sociale améliorent progressivement la situation des étrangers. Une égalité de traitement ne sera toutefois pas obtenue avant l’abolition du statut de saisonnier en 2002.

Au XIXe siècle, les étrangers sont exclus de l’assistance publique, alors liée au droit de cité communal, et sont par conséquent tributaires du soutien que veulent bien leur accorder les institutions de bienfaisance privées. Cette situation évolue à partir de la fin du XIXe siècle, lorsque les autorités d’assistance adoptent progressivement le principe du lieu de domicile. S’ils disposent de revenus réguliers, les étrangers peuvent assurer une prévoyance en cas de maladie ou de décès en adhérant à des sociétés de secours mutuels. Mais dans les faits, ces caisses n’assurent qu’une faible partie de la population active.

A partir de 1870, la Confédération joue un rôle plus important, d’abord en renforçant la protection des travailleurs, puis en instaurant les premières assurances sociales. Ces améliorations amènent à se demander si les personnes de nationalité étrangère doivent elles aussi en bénéficier. Avant la Première Guerre mondiale, le monde politique tend à octroyer une égalité de traitement aux travailleurs étrangers. La politique sociale est alors utilisée pour lier les travailleurs étrangers aux employeurs locaux et prévenir de potentiels conflits. Cette attitude se reflète tant dans la loi sur les fabriques (1877) que dans la Lex Forrer (1900).

La Première Guerre mondiale marque cependant un tournant dans la politique migratoire. Parmi les responsables politiques comme au sein de la population, la dénonciation de la « surpopulation étrangère » sert de point de ralliement pour multiplier les appels à une politique d’immigration plus restrictive.

Les premières discriminations évidentes sont contenues dans la loi sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents (LAMA) de 1912. Jusqu’en 1927, cette loi prévoit en effet qu’en l’absence de réciprocité entre la Suisse et l’Etat dont ils sont ressortissants, les assurés étrangers ne reçoivent que les trois quarts de certaines prestations d'assurance. Le principe de réciprocité garantit en revanche aux assurés étrangers résidant en Suisse un accès plein et entier aux assurances sociales lorsque la législation des Etats dont ils sont ressortissants offre un droit équivalent aux Suisses et à leurs survivants. Par ailleurs, la LAMA ne couvre pas les maladies professionnelles dont la cause est antérieure au séjour en Suisse. En 1931, la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers vient sceller la nouvelle attitude à l’égard de l’immigration en créant un statut de séjour de courte durée ou de « travailleurs saisonniers », lesquels sont dans une large mesure exclus de la sécurité sociale. Une distinction est dorénavant établie entre les étrangers selon la durée de leur séjour : les étrangers au bénéfice d’une autorisation d’établissement sont traités quasiment sur un pied d’égalité avec les nationaux, tandis que les travailleurs saisonniers sont largement exclus des prestations des assurances sociales.

Si les caisses de chômage ne font dans un premier temps pas de distinction entre les salariés en fonction de leur citoyenneté, la loi de 1924 concernant l’allocation de subventions pour l’assurance-chômage introduit la possibilité d’exclure les ressortissants d’un Etat qui n’accorde pas la réciprocité avec la Suisse. Une attitude plus restrictive encore s’impose dans les années 1930 : les travailleurs saisonniers sont exclus des caisses de chômage et ont l’obligation de quitter le pays en cas de chômage. C’est ce régime qui explique que la progression du chômage en Suisse a été moins importante que le recul de l’emploi lors de la crise économique des années 1970.

Jusque dans les années 1960, l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) dresse un certain nombre d’obstacles à la perception de rentes à l’étranger. Et jusqu’à l’entrée en vigueur de la prévoyance professionnelle obligatoire en 1985, le libre passage entre les caisses de pension n’est, dans la plupart des cas, pas garanti.

Des organisations comme l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs ou l’Organisation internationale du Travail (OIT) ont œuvré à la reconnaissance de droits égaux pour les étrangers. Les instruments à leur disposition étaient des études et des enquêtes sur la situation des ressortissants étrangers, mais aussi la négociation d’accords internationaux. En 1962, l’OIT adopte la Convention n°118 concernant l’égalité de traitement des nationaux et des non-nationaux en matière de sécurité sociale. Le droit international public exige lui aussi une égalité de traitement entre nationaux et non-nationaux. La Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe, signée en 1961, reconnaît ainsi aux ressortissants étrangers le « droit à la sécurité sociale ». Ni la convention de l’OIT ni la Charte sociale européenne n’ont toutefois été ratifiées par la Suisse, qui privilégie l’instrument des conventions bilatérales de sécurité sociale.

Des accords bilatéraux de coopération en matière de migration existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1960, ces accords sont renégociés et complétés par des conventions de sécurité sociale pour répondre aux pressions internationales, mais aussi aux besoins de main-d’œuvre de l’industrie. La Suisse négocie de telles conventions avec les pays avec lesquels elle est liée par des flux migratoires importants. Alors que les conventions de sécurité sociale libéralisent l’accès aux assurances sociales, le mouvement dénonçant la « surpopulation étrangère » obtient du gouvernement un plafonnement du nombre de travailleurs étrangers.

La première convention de sécurité sociale est conclue en 1962 avec l’Italie. L’accord entre la Suisse et l’Italie relatif à l’émigration de travailleurs italiens en Suisse est signé deux ans plus tard. Les deux accords conduisent à une amélioration des allocations pour les enfants vivant en Italie et garantissent l’accès à l’assurance-chômage après cinq ans de séjour. Des conventions de sécurité sociale sont ensuite négociées avec l’Espagne (1969) et nombre d’autres pays.

Les conventions bilatérales de sécurité sociale améliorent aussi la situation des détenteurs d’une autorisation de séjour de courte durée. Il faut toutefois attendre l’Accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l’Union européenne en 2002 pour assister à la suppression du statut de saisonnier.

Literatur / Bibliographie / Bibliografia / References: Arlettaz Gérald, Arlettaz Silvia (2006), L’Etat social national et le problème de l’intégration des étrangers 1890-1925, Studien und Quellen, 31, 191-217 ; Gees Thomas (2006), Die Schweiz im Europäisierungsprozess. Wirtschafts- und gesellschaftspolitische Konzepte am Beispiel der Arbeitsmigrations-, Agrar- und Wissenschaftspolitik 1947-1974, Zürich ; Lengwiler Martin (2015), Arbeitsgesellschaft: Kodifizierungen von Arbeit im 20. Jahrhundert, in : B. Bernet, J. Tanner (ed.), Ausser Betrieb. Metamorphosen der Arbeit in der Schweiz, Zürich;HLS / DHS / DSS: Etrangers; Saisonniers.

(12/2015)