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Pères, mères et enfants

L’Etat social suisse se préoccupe des pères, des mères et des enfants à différents niveaux. Les lois sur les fabriques prévoyaient des dispositions particulières pour les mères et les enfants, signe que la protection de la famille s’appuyait sur la conception traditionnelle de la famille. Au cours des dernières décennies, le développement des structures d’accueil collectif et l’instauration d’une allocation de maternité ont renforcé les moyens de concilier vie familiale et vie professionnelle.

La famille et la maternité, considérées comme un risque social, concernent tout à la fois les pères, les mères et les enfants. Les mesures de protection dans ce domaine ont été mises en place dans des contextes historiques différents et se caractérisent par une grande variété de fins et de moyens.

La protection des enfants et des travailleurs dans les lois sur les fabriques

Jusqu’au XIXe siècle, le travail des enfants est une réalité quotidienne pour plusieurs groupes de population. Dans le secteur agricole, les enfants contribuent dès leur jeune âge à l’économie du ménage et de la ferme. Les débuts de l’industrialisation amènent de plus en plus d’enfants à exercer une activité salariée à l’extérieur du domicile. L’industrie textile, par exemple, emploie de petits travailleurs âgés de 6 à 10 ans, leur imposant d’importantes charges physiques et de longues heures de travail, aux dépens de leur scolarisation et de leur développement physique et intellectuel. Dans les milieux bourgeois de l’époque, les tenants de la réforme sociale critiquent le travail des enfants dans l’industrie. Les lois sur les fabriques, d’abord dans les cantons, puis à l’échelle fédérale, en restreignent progressivement l’étendue. En 1877, la loi fédérale concernant le travail dans les fabriques interdit le travail des enfants de moins de 14 ans, interdiction qui ne s’applique toutefois qu’aux fabriques, et non au travail à domicile ou dans l’agriculture.

La loi fédérale sur les fabriques contient aussi des mesures de protection particulières pour les femmes, mettant d’abord l’accent sur la protection de la santé des femmes enceintes et des jeunes mères. Elle prévoit ainsi pour les mères une période de repos de huit semaines, dont six doivent tomber après l’accouchement. Le Conseil fédéral peut en outre désigner des branches dans lesquelles l’occupation de femmes enceintes est interdite. S’y ajoute une interdiction du travail de nuit et du travail du dimanche qui concerne toutes les femmes, ce qui les discrimine par rapport aux hommes sur le marché du travail, en particulier dans la métallurgie et l’industrie des machines. La protection offerte aux femmes reste à double tranchant aux yeux des principales intéressées, puisque la loi ne prévoit pas de réglementation sur la perte de gain. Les femmes enceintes et les accouchées ne peuvent prétendre qu’à un congé maternité non payé. De fait, on laisse aux femmes et aux familles concernées le soin de s’organiser pour compenser la perte de revenu qui en résulte. Un certain allégement ne vient qu’avec la loi sur l’assurance-maladie et accidents (LAMA) de 1912, qui accorde durant six mois aux accouchées assurées les mêmes prestations qu’en cas de maladie. Suivant l’assurance, ces prestations comprennent les soins infirmiers ou même une indemnité de maladie. Cependant, seule une minorité de femmes est alors au bénéfice d’une assurance-maladie, si bien que la plupart ne profitent pas de ces améliorations.

L’extension du travail salarié au XIXe siècle conforte une vision des rôles dans laquelle les tâches domestiques et la garde des enfants tendent à être confiées aux femmes, tandis que les hommes se voient attribuer la responsabilité de subvenir aux besoins matériels de leur famille. Cette conception accroît la dépendance financière des femmes à l’égard de leur mari. Les dispositions générales de la loi sur les fabriques s’appliquent uniformément aux hommes, les pères ne bénéficiant d’aucune protection particulière par rapport aux hommes sans enfants.

Protection de la famille : renforcement du modèle familial traditionnel

Dans les années 1930, la question de la protection adéquate de la famille, préoccupation ancienne des milieux catholiques, revêt une place de plus en plus importante dans les discussions sur la politique sociale. Conséquence indirecte d’une initiative lancée par le PDC, le principe de la protection de la famille est inscrit dans la Constitution en 1945 et vient conforter le modèle de la famille traditionnelle aux dépens des autres formes de vie familiale. L’article constitutionnel exige l’introduction d’allocations familiales et d’une assurance-maternité, deux impératifs qui prendront des décennies avant d’être concrétisés au niveau législatif. Dans les deux premières décennies de l’après-guerre, tous les cantons instaurent des allocations familiales et, plus tard, certains d’entre eux y ajoutent des allocations de naissance et de formation. Les allocations familiales sont gérées par des caisses de compensation publiques et privées. Une uniformisation à l’échelle nationale n’interviendra qu’en 2006.

Le débat sur la protection économique de la famille porte notamment sur l’opposition entre le salaire individuel et le salaire social. Le salaire ne doit-il rémunérer que la prestation de travail individuelle (salaire individuel) ou financer aussi les obligations sociales liées à l’entretien d’une famille (salaire social) ? Le concept de salaire familial, centré sur le salaire du père de famille et le nombre d’enfants, a surtout la faveur des milieux catholiques-conservateurs. Le salaire individuel est défendu, lui, par les syndicats et les employeurs, mais également par des organisations féminines luttant contre l’inégalité salariale entre hommes et femmes. Ces organisations sont toutefois elles aussi favorables à des allocations spécialement destinées à honorer les obligations familiales.

Durant la crise économique des années 1930, de vives campagnes sont menées, tant dans les milieux conservateurs que dans les milieux de gauche, contre les ménages à deux salaires. Les femmes mariées et diplômées travaillant dans le secteur public sont plus particulièrement ciblées. Alors que les conservateurs s’attachent surtout à défendre de la sorte la conception bourgeoise de la répartition des rôles entre un « soutien de famille » et une femme au foyer, les critiques de gauche visent les revenus élevés des couples dont les deux membres appartiennent à l’élite sociale.

Assurance-maternité : reconnaissance de l’activité professionnelle des femmes

L’assurance-maternité est instaurée en 2004, près de 60 ans après l’adoption de l’article constitutionnel sur la protection de la famille. De précédentes tentatives avaient échoué en 1987 et 1999, se heurtant à la fois à la résistance contre le travail des mères (raisons idéologiques, conception traditionnelle de la famille) et à des réticences d’ordre fiscal. Alors que les allocations familiales renforcent le modèle traditionnel de la famille et réduisent pour les femmes mariées l’incitation à exercer une activité lucrative, l’assurance-maternité améliore fondamentalement les possibilités de concilier vie de famille et vie professionnelle. Financée par le régime des allocations pour perte de gain, l’assurance-maternité compense pendant quatorze semaines 80 % de la perte de revenu subie par les accouchées. Sa mise en place représente une reconnaissance importante de l’activité professionnelle des femmes.

Prise en charge des enfants, temps et argent : les difficultés de concilier vie familiale et vie professionnelle

La possibilité de concilier vie familiale et vie professionnelle ne dépend pas seulement de l’existence d’une assurance-maternité, mais encore d’offres d’accueil extrafamilial des enfants financièrement supportables. Si cette dernière condition n’est pas remplie, un des parents, en général la mère, est souvent obligé de renoncer à son activité professionnelle, ce qui crée une situation d’inégalité des chances entre hommes et femmes, et peut accentuer la pénurie de personnel qualifié à l’échelle de l’économie dans son ensemble. Le coût élevé des structures d’accueil extrafamilial des enfants explique également que les mères célibataires et les familles nombreuses sont exposées à un risque accru de pauvreté (phénomène de la « nouvelle pauvreté »).

Les structures d’accueil collectif de jour pour enfants (crèches, garderies, familles de jour, écoles à horaire continu, etc.) peuvent être publiques ou privées et bénéficier ou non de subventions publiques. Elles sont plus développées en ville qu’à la campagne. Le nombre insuffisant de places disponibles dans certaines régions a alimenté dans les années 1990 un débat public sur cette problématique et conduit le Parlement à voter un programme d’aides financières à l’accueil extrafamilial des enfants. Entré en vigueur en 2003, puis prolongé en 2011 et en 2015, ce programme a permis d’accroître sensiblement le nombre de places à disposition.

Les pères qui se consacrent à l’éducation des enfants sont eux aussi confrontés à la difficulté de concilier cette responsabilité avec l’exercice de leur activité professionnelle, même si ce sont les mères qui continuent de consacrer plus de temps aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants. Contrairement à la situation qui prévaut dans plusieurs pays européens, les pères ne peuvent toujours pas prétendre en Suisse à un véritable congé de paternité : ils doivent se contenter d’un congé allant de un à cinq jours dans le secteur privé et de dix jours à la Confédération.

Literatur / Bibliographie / Bibliografia / References: Gaby Sutter (2005), Berufstätige Mütter. Subtiler Wandel der Geschlechterordnung in der Schweiz (1945-1970), Zurich ; Wecker Regina, Studer Brigitte, Sutter Gaby (2001), Die «schutzbedürftige Frau»: Zur Konstruktion von Geschlecht durch Mutterschaftsversicherung, Nachtarbeitsverbot und Sonderschutzgesetzgebung, Zurich ; Aebi Alain, Dessoulavy Danielle, Scenini Romana (1994), La politique familiale et son arlésienne: l’assurance-maternité, Genève; HLS / DHS / DSS: Maternité; Paternité; Famille, politique de la; Allocations familiales; Travail des enfants; Travailleurs, protection des.

(12/2015)