Unternavigation

Caisses-maladie

Les caisses-maladie font partie des acteurs les plus influents de la politique sociale. Depuis la fin du XIXe siècle, elles s’opposent avec succès aux projets centralisateurs de l’Etat social et sont en grande partie responsables du modèle privé longtemps dominant dans le domaine de l’assurance-maladie en Suisse. 

L’histoire des caisses-maladie commence dans la seconde moitié du XIXe siècle. Durant la phase d’industrialisation, des entrepreneurs, des associations professionnelles et des autorités locales fondent une multitude de petites caisses de secours mutuels dont le champ d’activité est essentiellement local ou régional. Ces caisses, qui n’offrent encore qu’une protection minimale contre les risques de maladie, d’invalidité ou de décès, se multiplient à partir des années 1860, tandis que leur taille moyenne augmente progressivement. En 1865, on dénombre sur l’ensemble du territoire suisse, 632 caisses avec un effectif moyen de 150 membres. A la fin des années 1880, leur nombre dépasse le millier et leur effectif moyen atteint 200 membres. Moins de 5 % de la population totale est assurée, même si cette proportion peut atteindre un quart de la population dans les régions les plus industrialisées, comme les cantons de Glaris, Zurich ou Bâle-Ville. A partir des années 1890, un nombre croissant de caisses se spécialisent dans le domaine de l’assurance-maladie. C’est la naissance des caisses-maladie dans leur forme actuelle.

A la fin du XIXe siècle, la situation des caisses présente une grande diversité. Nombre d’entre elles se limitent à un cercle restreint de membres : caisses syndicales ne couvrant que certains métiers, caisses d’entreprises fondées par des employeurs pour leur personnel, caisses communales ou régionales n’acceptant que les habitants d’une commune ou d’une région, caisses catholiques réservées aux personnes de cette confession. Ces caisses sont principalement conçues comme des unions coopératives entre pairs et seules quelques-unes sont organisées à l’échelle suprarégionale ou nationale. Un processus de concentration, avec la formation de caisses-maladie suprarégionales se concevant comme des compagnies d’assurance à visée commerciale, ne se produit pas avant le courant du XXe siècle.

En 1900, plus de la moitié des caisses se contente de verser des indemnités journalières. Le coût des traitements médicaux reste le plus souvent à la charge des travailleurs et des travailleuses. Changer de caisse est en outre difficile : les caisses multiplient les obstacles à l’adhésion et aucune règle ne vient faciliter le libre passage. Pour remédier à cette lacune, des associations regroupant plusieurs caisses à l’échelle régionale ou cantonale commencent à se former à la fin du XIXe siècle et donneront naissance à des concordats nationaux (Konkordat der Schweizerischen Krankenkassen pour la Suisse alémanique en 1891, Fédération des sociétés de secours mutuels de la Suisse romande en 1893, et Federazione ticinese delle casse malati en 1921 ; les trois fédérations fusionneront en 1985 pour former l’organisation faîtière des caisses-maladie, qui deviendra santésuisse en 2002).

A partir de 1900, les caisses-maladie exercent une influence croissante sur les revenus des médecins. Un peu partout, des conventions tarifaires collectives sont conclues entre les caisses et les sociétés de médecins pour régler le montant des prestations médicales.

De nombreuses caisses se montrent sceptiques à l’égard des efforts nationaux visant à introduire une assurance-maladie obligatoire. Elles voient dans cette réglementation étatique une menace pour leur autonomie. Par ailleurs, les projets centralisateurs se heurtent parfois à des réticences fédéralistes. L’opposition issue des cercles favorables aux intérêts des caisses-maladie contribue au net rejet de la première mouture de la loi sur l’assurance-maladie et accidents (LAMA) lors de la votation populaire de 1900. Une version révisée de 1912 se contentera d’accorder des subventions fédérales aux cantons et aux communes ayant instauré une assurance-maladie obligatoire.

Cette décision aura une influence décisive sur l’évolution des caisses-maladie. L’assurance-maladie continuera pendant des décennies d’être principalement régie par le droit privé. Certes, plusieurs cantons adoptent des lois sur l’assurance obligatoire : le canton de Bâle-Ville en 1914, suivi par près de la moitié des cantons jusqu’à la fin des années 1920. Ces régimes obligatoires ne s’appliquent toutefois dans la plupart des cas qu’aux personnes à faible revenu. La grande majorité de la population reste assurée à titre privé ou doit renoncer à toute couverture maladie. Les caisses-maladie sortent en fin de compte gagnantes de cette tendance au régime obligatoire. Elles s’opposent avec succès à la mise en place de caisses publiques, sauf dans quelques cas exceptionnels, comme à Bâle-Ville. Mais dans la plupart des cas, même les régimes obligatoires relèvent du domaine réservé des caisses privées. Au terme de cette première phase d’extension, l’assurance-maladie couvre près de la moitié de la population en 1935.

Avec le développement important des caisses-maladie, le rapport de force entre les sociétés de médecins et les associations de caisses évolue dans un sens de plus en plus favorable aux secondes. La Grande Dépression des années 1930 provoque de vifs désaccords au sujet des tarifs médicaux, désaccords qui se prolongeront jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Pendant la guerre, les représentants du corps médical et des caisses-maladie discutent également de réformes profondes du système de santé. La période est notamment marquée par la publication du rapport Beveridge en 1942, qui prône un développement important de l’Etat-providence britannique et qui rencontre un vaste écho sur la scène internationale. Les associations des caisses-maladie proposent en 1941 une « concentration de l’assurance sociale suisse », qui prévoit l’instauration d’un système national de sécurité sociale incluant toutes les assurances dont la réalisation se fait encore attendre : perte de gains, chômage, maladie, invalidité, vieillesse et survivants. La Suva, déjà constituée, est la seule à ne pas être concernée. En 1943, le Conseil fédéral rejette à la fois cette proposition et le modèle du rapport Beveridge, jugé incompatible avec un Etat social suisse de tradition fédéraliste et réservant une place importante aux assureurs privés.

L’après-guerre se caractérise par une croissance durable des caisses-maladie doublée d’un processus de concentration. Le nombre de personnes assurées est multiplié par plus de trois, passant d’environ deux millions en 1940 à près de sept millions en 1980. Dans le même temps, le nombre de caisses-maladie est divisé par deux. Cet élargissement de la couverture de l’assurance-maladie est le reflet de l’élévation du niveau de vie dans l’après-guerre qui favorise la propagation du principe de l’assurance. (« Chiffres »).

Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’assurance-maladie doit faire face à une augmentation continue des coûts de la santé. La croissance du secteur de la santé et la demande toujours plus importante de soins médicaux pèsent sur les finances des caisses. Dans les régions qui connaissent l’assurance obligatoire, les autorités locales interviennent souvent pour limiter le montant des primes. Dans l’impossibilité d’adapter leurs primes à l’évolution des dépenses, les caisses affichent souvent des déficits structurels, raison pour laquelle les subventions fédérales sont considérablement revues à la hausse lors de la révision partielle de la LAMA en 1964.

A la fin des années 1960, le projet d’une assurance-maladie obligatoire revient à l’ordre du jour du débat politique après le lancement d’une initiative populaire par le Parti socialiste (PS). Les caisses-maladie et le corps médical s’accordent sur un contre-projet qui bénéficie aussi du soutien du Parlement et qui prévoit des cotisations obligatoires, mais pas de prestations d’assurance obligatoires. En 1974, les deux projets sont rejetés à une large majorité en votation populaire. Face à l’augmentation continue des coûts, les acteurs du système de santé tendent à se renvoyer la balle. Pour des raisons d’économie, la Confédération plafonne ses subventions aux caisses-maladie, lesquelles relèvent substantiellement leurs primes dans les années 1980 et s’attirent les critiques de plus en plus vives de l’opinion publique. Les débats sur la réforme s’orientent dès lors de plus en plus vers des efforts d’économie dans l’assurance-maladie, une exigence notamment véhiculée par les caisses-maladie. Après une tentative avortée en 1987, l’adoption de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal) en 1996 parvient non seulement à instaurer un régime obligatoire à l’échelle fédérale, mais aussi à créer les bases légales pour plusieurs instruments de maîtrise des coûts dans l’assurance. Les caisses-maladie ont depuis lors élargi leur offre en proposant divers modèles de participation des personnes assurées aux coûts des traitements (franchise). Plus la franchise annuelle est élevée, plus les primes que doit payer la personne assurée sont basses. Des modèles d’assurance restreignant le choix des fournisseurs de prestations (modèles « managed care ») sont également introduits. L’idée est d’échanger réduction de primes contre restrictions au libre choix du médecin, par exemple dans les modèles HMO et médecin de famille. Récemment, les milieux de gauche ont demandé l’introduction d’une caisse publique unique. Une initiative populaire lancée par le PS et les Verts a été rejetée en votation populaire en 2007. L’idée est qu’une caisse unique permettrait de réduire les dépenses administratives et de mettre fin à la concurrence des caisses pour attirer les « bons risques ». Le modèle est critiqué par les caisses-maladie et les partis bourgeois au motif qu’il serait trop centralisateur et accorderait une influence excessive à l’Etat.

> L'assurance maladie en chiffres

Literatur / Bibliographie / Bibliografia / References: Uhlmann, Björn, Braun, Dietmar (2011), Die schweizerische Krankenversicherungspolitik zwischen Veränderung und Stillstand, Zurich ; Muheim, David (2000), « Mutualisme et assurance maladie (1893-1912) : une adaptation ambigue », Traverse : revue d’histoire, vol. 2, p. 79-93 ; Lengwiler, Martin, Rothenbühler, Verena (2004), Macht und Ohnmacht der Ärzteschaft. Geschichte des Zürcher Ärzteverbands im 20. Jahrhundert, Zurich ; HLS / DHS / DSS: Caisses maladie.

(12/2015)