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Sociétés de médecins

L’histoire des organisations professionnelles de médecins se résume longtemps à celle des Sociétés cantonales de médecine. Ce n’est qu’au 20e siècle que la Fédération des médecins suisses (FMH) devient une organisation politique influente. 

Au 19e siècle, c’est principalement à l’échelon cantonal que les médecins s'organisent et agissent au niveau politique. La République Helvétique tente bien, en 1798, d’uniformiser la politique de la santé, notamment par une autorisation d’exercer reconnue au niveau national. Mais en 1803, l’Acte de Médiation définit clairement le domaine de la santé et de la médecine comme une affaire cantonale – un moment historiquement déterminant. En quelques années, des sociétés de médecins sont créées dans les cantons d’Argovie (1805), de Berne (1809), de Zurich (1810), puis de Fribourg et de Lucerne (1811). Ces sociétés sont actives à l’échelon cantonal, mais également au niveau national dans le cadre du concordat des Sociétés cantonales de médecine.

Durant la seconde moitié du 19e siècle, la formation médicale est progressivement harmonisée au niveau national. Le diplôme du concordat est introduit en 1867, suivi en 1877 par l’examen d’Etat, encore en vigueur actuellement. Ce sont les organisations professionnelles de médecins qui définissent les conditions d’exercice des professions médicales. La Fédération des médecins suisses (Foederatio Medicorum Helveticorum), quant à elle, n’est fondée qu’en 1901. A cette époque, la formation médicale universitaire et la professionnalisation du métier de médecin sont déjà très avancées. L’organisation des études de médecine et l’autorisation d’exercer relèvent des organisations professionnelles de médecins. Parallèlement. le corps médical dispose d'excellents relais politiques. Les médecins politiquement engagés appartiennent généralement au Parti radical-démocratique (PRD), qui domine la politique nationale au 19e siècle. Cette affinité entre la profession médicale et la ligne du Parti radical-démocratique perdure durant une bonne part du 20e siècle.

En comparaison internationale, le corps médical suisse occupe une position privilégiée. Contrairement à l’Allemagne, on n’envisage pas de libéraliser l’autorisation d’exercer. La Prusse, le plus puissant des Etats allemands, abolit en 1869 les privilèges de l’ordre des médecins et introduit la « liberté de soigner » (Kurierfreiheit). Quiconque se sent appelé à proposer des services médicaux, peut le faire librement. En Suisse, certains cantons comme Appenzell Rhodes-Extérieures adoptent des réglementations comparables. Mais dans la plupart des cantons, les sociétés de médecine s’opposent à une telle libéralisation. En effet, tous les membres du corps médical ne connaissent pas la même situation économique. Les cabinets médicaux jouissant d'une clientèle bourgeoise ou aisée, à la ville comme à la campagne, bénéficient généralement de bases financièrement solides. Par contre, ceux qui sont établis dans les régions rurales plus pauvres ou dans les régions industrielles ne peuvent souvent compter que sur de maigres rentrées d’honoraires. Une majorité du corps médical craint l'ouverture d'un grand nombre de nouveaux cabinets, qui aurait pour conséquence une concurrence ruineuse entre médecins.

Les conflits tarifaires de la première moitié du 20e siècle

Depuis la fin du 19e siècle, une part toujours croissante de la clientèle médicale voit ses frais remboursés par une caisse maladie. De ce fait, les revenus des médecins dépendent de plus en plus des conventions tarifaires conclues entre les organisations de médecins et les fédérations de caisses maladie. Durant et après la Première Guerre, on assiste à une baisse des revenus des médecins. Durant les années de guerre, leurs revenus sont érodés par le renchérissement. C’est pourquoi les organisations de médecins revendiquent, durant l’entre-deux-guerres, une adaptation des tarifs médicaux. Mais les partenaires contractuels – les fédérations de caisses maladie – s’y opposent en arguant que les tarifs sont déjà trop élevés. La pression à la baisse des tarifs médicaux s’accentue avec la crise économique mondiale de 1931. En 1932, la FMH cède à la pression et recommande aux sociétés cantonales de médecine d’appliquer un « rabais de crise » pouvant aller jusqu’à 10 % sur les tarifs médicaux. La proposition est appliquée après approbation de la plupart des associations professionnelles cantonales. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que l’amélioration de la situation économique et l’élargissement des marges de manœuvre financières permettent de désamorcer les conflits tarifaires grâce à une augmentation des tarifs.

Durant les décennies qui suivent la Deuxième Guerre mondiale, le corps médical bénéficie du rapide développement du système de santé. Entre 1950 et 1980, on assiste à une forte extension des infrastructures hospitalières, ainsi qu’à une progression supérieure à la moyenne du nombre de médecins installés, qui passe du simple au double entre 1945 et 1975, alors que la population totale n’augmente que de 50 % durant le même laps de temps.

L’assurance maladie obligatoire : un sujet controversé

L’influence des sociétés de médecine sur la politique de la santé ne diminue pas après 1945. C’est ce qui ressort des débats de longue haleine consacrés à la réforme de la loi sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents (LAMA) de 1912, qui réglait l’extension du régime obligatoire de l’assurance maladie. Depuis les années 1940, les fédérations de caisses maladie et les partis de gauche réclament une révision totale de la LAMA, pour élargir le champ d’application de l’assurance maladie et en faire un système étatique basé sur l'obligation de s’assurer au niveau national. Les sociétés de médecine nourrissent des réserves à l’égard de ces revendications, car leurs prestations sont la plupart du temps indemnisées plus faiblement dans l’assurance maladie obligatoire que dans l'assurance maladie privée. En 1949 déjà, la loi sur la lutte contre la tuberculose, qui aurait obligé les personnes à revenu modeste à s’assurer, est largement rejetée en votation populaire par 75 % de non. La résistance vient surtout de la FMH. Ce n’est donc qu’en 1964, qu’une révision partielle de la LAMA pourra être entreprise pour parer à la croissance des coûts du système de santé, mais elle se limite à des revendications consensuelles: élargissement des prestations minimales légales, nouveau régime de participation aux coûts (franchise et quote-part) et amélioration des finances des caisses maladie grâce à un relèvement des subventions de la Confédération. Au début des années 1970, le Parti socialiste suisse fait une nouvelle tentative pour introduire une assurance maladie obligatoire nationale, par le biais d’une initiative populaire. Les associations de médecins et les caisses maladie s’opposent à l’assurance obligatoire et combattent victorieusement le projet. L’initiative, tout comme le contre-projet parlementaire, est largement rejetée en votation populaire en 1974.

Durant les années 1980 et 1990, la question de l’augmentation des coûts supplante peu à peu celle de l’assurance obligatoire dans les débats sur une réforme de la LAMA, notamment parce que l’assurance maladie a fini par toucher la quasi-totalité de la population, même sans assurance obligatoire à l’échelle nationale. La proportion de personnes assurées, qui n’est que de 48 % en 1945, passe à 89 % en 1970 et à 95 % en 1980. Après une tentative avortée en 1987, une nouvelle loi sur l’assurance maladie (LAMal) est adoptée en 1996. Ses deux objectifs principaux sont d’introduire des mesures de maîtrise des coûts ainsi que l’obligation de s’assurer au niveau national. Pour le législateur, l’extension de la participation des personnes assurées aux frais de traitement (franchise) et l’introduction de formes d’assurance de type « managed care » avec renonciation au libre choix du médecin (par ex. modèles HMO ou modèle du médecin de famille) doit permettre de maîtriser les coûts. La LAMal prévoit également une structure tarifaire uniforme au niveau national pour les prestations médicales individuelles : TARMED, le premier barème national des prestations, est introduit en 2003/2004. Les modèles de managed care et Tarmed font toutefois l’objet de vives controverses au sein du corps médical. Ce dernier est également divisé au sujet de l'introduction d'une caisse unique pour l'assurance maladie obligatoire dans le but, selon ses partisans, de minimiser le phénomène de la chasse aux bons risques par les caisses maladie et de tempérer les hausses continues des coûts dans l'assurance maladie. Depuis 2003, ce projet est porté par deux initiatives populaires soutenues entre autres par le parti socialiste. A l'occasion du scrutin populaire de 2007 portant sur la première de ces deux initiatives, la FMH a refusé le principe de la caisse unique. Mais plusieurs sociétés cantonales de médecine ont désavoué leur organisation faîtière et soutenu le projet.

Literatur / Bibliographie / Bibliografia / References: Lengwiler, Martin, Rothenbühler, Verena (2004), Macht und Ohnmacht der Ärzteschaft. Geschichte des Zürcher Ärzteverbands im 20. Jahrhundert, Zürich; Alber, Jens, Bernardi-Schenkluhn, Brigitte (1992), Westeuropäische Gesundheitssysteme im Vergleich. Bundesrepublik Deutschland, Schweiz, Frankreich, Italien, Grossbritannien, Frankfurt am Main 1992; Braun, Rudolf (1985), Zur Professionalisierung des Ärztestandes in der Schweiz, in: Conze, Werner, Kocka, Jürgen (Hg.), Bildungsbürgertum im 19. Jahrhundert, Stuttgart 1985, S. 332-357; Vuagniaux Rachel (2002), «Le ‹médecin libre› contre le ‹bolchevisme médical›: le Bulletin professionnel des médecins suisses et les premières tentatives de révision de la LAMA (1920–1951)», Aspects de la sécurité sociale: 3, 2–9. HLS / DHS / DSS: Médecins.

(12/2014)